La poétique contre l’inhumanité

Peut-on opposer le geste poétique à l’inhumain, c’est-à-dire s’engager en poétique comme on pourrait s’enrôler dans la résistance face à un ennemi.

Au cœur des institutions, dans le cadre de groupes ou même dans mon for intérieur n’y aurait-il pas une manière de voir la vie, de construire ma relation au monde qui entretiendrait un quelconque commerce avec le poétique et qui permettrait d’humaniser mes rapports à l’autre ? En contre-jour et de manière plus radicale, est-ce que l’absence de poétique chez un individu ou dans une société, conduirait elle inexorablement l’un et l’autre vers la barbarie ? Et l’enfer ne serait-il pas le lieu où le poétique n’a pas droit de cité ?

Ces dernières questions recouvrent celle du système totalitaire. Un des exemples le plus frappant est le régime national-socialiste[1], là où justement le poétique n’a pas de place. Son absence est manifeste au niveau des structures sociales et dans ce qu’elles engendrent comme organisation culturelle et politique. Le nazisme a son esthétique, mais celle-ci fait l’impasse sur la finititude de l’homme : « Si les expressionnistes donnent à voir de façon démesurée la finitude dans leurs œuvres, les théories et l’art nazis en quête d’éternité cherchent à dénier cette finitude. ».[2] On peut tout à fait admettre qu’un dictateur ou qu’un régime totalitaire intègre dans son idéologie et sa mentalité l’art et le beau. Mais il s’agit ici d’une esthétique instrumentalisée, amputée de son essence. L’exposition d’art dégénéré organisé par les nazis manifeste clairement le refus du poétique dans la mesure où celui-ci désigne l’altérité et ce qu’il y a d’irréductible en l’homme. Un Paul Klee, un Kandinsky ou un Munch sont des artistes mis au banc des accusés par les nazis. Ce qui rebute un tel régime c’est une esthétique qui situe l’homme dans sa fragilité existentielle, dans un manque, mais aussi dans une quête de la transcendance. Les écrits de Kandisky et ceux de Klee témoignent d’une démarche spirituelle qui implique une manière de contempler le monde qui ne s’arrête pas aux apparences et qui invitent le spectateur à découvrir, au travers les paradoxes, les associations incongrues de pensées et de formes, une réalité spirituelle. L’ordre et le désordre entrent en résonnance d’où l’impossibilité pour une pensée totalisant d’intégrer cette dialectique inquiétante

Du côté de la Corée du Nord le réalisme socialisme exalte l’idéologie communiste par des représentations humaines ou par des paysages. Là aussi il serait difficile de trouver une dimension poétiqu

e. L’art s’en écarte. Il est récupéré par une pensée religieuse et devient sujet d’idolâtrie.

Tout régime totalitaire ou tout système religieux extrémistes refusent ce qui fait l’essence de l’homme, c’est-à-dire ses limites, son altérité, ses paradoxes tout ce qui révèle une forme de contradiction. De même ceux-ci opposeront une fin de non-recevoir au poétique, car ce dernier contrecarre et perturbe les forces inhumaines à l’oeuvre. Là où le poétique demeure l’homme advient, là est accueilli le signe d’une transcendance peut y trouver une place. C’est pour cette raison que le geste poétique est une manière de lutter contre les forces déshumanisantes qui asservissent l’homme au mal.

[1] Schnapper Laure, « La musique « dégénérée » sous l'Allemagne nazie », Raisons politiques 2/2004 (no 14) , p. 157-177

URL : www.cairn.info/revue-raisons-politiques-2004-2-page-157.htm.

DOI : 10.3917/rai.014.0157.

[2] https://www.cairn.info/revue-le-coq-heron-2004-2-page-161.htm#pa21

Landa Eva, « L'art « dégénéré » et le projet culturel nazi : finitude et quête de l'éternité », Le Coq-héron 2/2004 (no 177) , p. 161-165

URL : www.cairn.info/revue-le-coq-heron-2004-2-page-161.htm.

DOI : 10.3917/cohe.177.0161.

poétique et métaphysique

Les camps et la libération